Faire d’une pierre deux coups, une mauvaise idée ? C’est du moins ce que semble penser Gilles Perraudin,* promoteur s’il en est de la construction en pierre massive, à propos du béton, selon lui trop armé pour la planète. Ne sommes-nous pas tous assis sur un gros caillou ? Calcul raisonné en deux phases. Première partie : la fabrication. Tribune.
Il y a une quinzaine d’années, au cœur du bouillonnement que mes premières réalisations alimentaient, quelques jeunes ingénieurs de l’école des Mines avaient présenté publiquement le bilan carbone de trois systèmes constructifs de façades. Finalement, deux des solutions apparaissaient équivalentes : l’une en bardage métallique et l’autre en revêtement en pierre.
De la salle composée majoritairement de pierreux (c’est ainsi que l’on aime se nommer dans la profession) un grondement monta doucement. Il éclata lorsqu’un entrepreneur de construction en pierre s’étonna qu’un bardage en acier puisse équivaloir un mur en pierre. Recycler de l’acier apparaissait à ces pierreux posséder un coût énergétique important. Les explications des ingénieurs semblaient embarrassées.
Notre jeune ingénieur des mines, sans doute peu habitué à la contestation de la part de simples manuels de la construction, lui répondit que le coût du recyclage de la pierre était très important aussi. Il détailla ses calculs impressionnants du recyclage de la pierre. Il la réduisait en poudre et montrait le peu d’intérêt de ce produit dans la construction ou ailleurs (il aurait pourtant dû savoir que les charges minérales sont très recherchées dans l’industrie et notamment les peintures).
Un immense éclat de rire accueillit ses explications. Et la salle hilare entendit notre entrepreneur contestataire lui rétorquer que lorsque lui démontait les pavés d’une rue il s’empressait de les réutiliser ailleurs dans une nouvelle chaussée.
Mon voisin, sans doute un concurrent, me poussa du coude et me glissa à l’oreille : « non seulement il les réutilise tous mais il en fait deux fois plus car il les recoupe en deux dans l’épaisseur ! »
Cette anecdote révèle le manque criant de connaissance de la construction en pierre chez les architectes, ingénieurs et les entrepreneurs. Et elle pose la question du recyclage.
@11h45
Il est important en premier lieu de dissocier recyclage du réemploi. Cette distinction est cruciale. Un matériau recyclé nécessite une dépense énergétique nouvelle pour être réutilisable. L’exemple de l’aluminium est significatif à cet égard. Il faut la même quantité d’énergie fossile (donc de dépense carbonée) pour son recyclage que pour sa fabrication. A l’opposé, le réemploi d’un matériau n’a besoin d’aucune énergie pour une nouvelle mise en œuvre puisqu’il n’est pas transformé.
Si l’aluminium peut engendrer un nouveau matériau de qualité sensiblement égal à l’original, il n’en est pas de même pour beaucoup d’autres de ces matériaux recyclés. Le cas du béton armé est significatif. Le recyclage du béton, outre la quantité d’énergie carbonée nécessaire à sa démolition, ne donne qu’un sous-produit avec lequel on peut au mieux faire des sous-couches de route. Et que dire de tous les adjuvants toxiques qui ont été ajoutés et qui repartent dans la nature ?
Il est important de distinguer ces deux notions. « Une ressource dite renouvelable est une ressource naturelle dont le stock peut se reconstituer en se renouvelant au moins aussi vite qu’elle est consommée » (source Wikipédia). J’ai été pris à partie au cours d’une présentation où l’on m’accusait d’utiliser un matériau fossile non renouvelable, la pierre. C’est ignorer deux choses. La première est que la pierre répond à un processus de constitution permanent par l’activité de captation du CO² dans les océans et par la production des volcans. La deuxième c’est que la pierre reste indéfiniment de la pierre, et il est permis de penser qu’elle n’est, pour ainsi dire, jamais consommée !
@ F.Michel
J’aime faire la comparaison entre la production d’un mur en béton armé et celui d’un mur en pierre de taille massive pour démontrer l’incroyable différence des bilans carbone entre les deux.
Dans les deux cas, il faut au départ un bloc de pierre extrait d’une carrière.
Dans le premier cas, de confection d’un mur en béton armé, vous devez d’abord produire du ciment. La pierre extraite de la carrière est transportée dans une usine de ciment, souvent éloignée de l’extraction. Puis, vous devez réduire ce bloc en poussière dans de bruyants broyeurs fonctionnant à l’énergie électrique ou au fuel. Vous le mélangez à de l’argile. Cette poudre est ensuite, grâce à d’immenses bassines tournantes (avec moult dépenses énergétiques), transformée en granules par l’ajout d’eau.
Je connais assez bien le processus de production du ciment, car, j’ai dans ma jeunesse, travaillé dans une usine où j’étais affecté précisément au poste « granule ». Le travail, peu qualifié, consistait à surveiller la proportion de poudre de pierre et d’eau ajoutée, qui détermine la taille des granules, celle-ci étant de l’ordre du centimètre.
L’étape suivante de la production est la mieux connue : la cuisson des granules. Elle se fait dans des fours où l’on doit atteindre la température de 1 400°C pendant plusieurs heures. Pour atteindre ces températures, on a commencé par brûler du charbon réduit en poudre, des arcs électriques, du fuel et, enfin, plus récemment, tous les déchets toxiques que notre société de consommation doit éliminer. On a brûlé toutes les farines animales qui rendirent folles les vaches pour produire du ciment. Que penser de nos constructions faites avec ce ciment fou !
Aujourd’hui ce sont les pneumatiques usagés qui servent à cuire les granules. Cette cuisson se fait en contact direct entre les déchets et la pierre. Les vieux pneumatiques sont réduits en morceaux, y compris les carcasses métalliques qui les composent. De là à imaginer que c’est ainsi que furent découverts les bétons fibrés….
Je ne sais pas si les cendres de combustion de ces déchets, cendres hautement toxiques, sont intégrées ou non dans le clinker, nom du produit recueilli à la sortie des fours, des billes extrêmement dures de pierre quasiment fondue.
Ces dures billes de clinker doivent ensuite être réduites en poudre en repassant dans les bruyants broyeurs. Après ajouts de divers ingrédients, (un peu de sel ou de poivre et le parfum d’une gousse d’ail !) est obtenu ce produit miraculeux qui fit le désastre de l’architecture dite moderne. Mais ceci est un autre sujet.
Comme chacun a compris, la dépense énergétique est colossale. La communauté européenne dans sa mansuétude a décidé de subventionner toute économie d’énergie sous la forme de taxe carbone. Chaque tonne de carbone économisée sera subventionnée. Si j’étais cimentier, je crois que je produirais le clinker dans un pays hors union européenne où il n’y a pas de contrôle sur la consommation énergétique, et je le rapatrierais ensuite.
Cette production cimentière soulève un autre sujet : pour faire du béton armé, il faut ajouter de l’acier. Je ne vais pas refaire l’exposé, de la production de l’acier que je connais moins.
En préambule rappelons cependant que le fer vient de la pierre ! Et que la quantité de pierre nécessaire à produire un kilo de métal est gigantesque. Minerai extrait dans des pays peu regardants des conditions environnementales et sociales. Transport sur des milliers de kilomètres. Transformation dans des hauts fourneaux à haute consommation énergétique dans des pays peu regardants des conditions environnementales et sociales. Tréfilages, à très haute consommation énergétique, dans des pays peu regardants des conditions environnementales et sociales. Transport sur des milliers de kilomètres à nouveau…
Le minerai parti d’Afrique sous forme de minerai revient en barres d’acier jusqu’au fin fond de la brousse ou des forêts tropicales, pour permettre aux autochtones de bénéficier enfin de cette modernité tant vantée par les télénovelas dont ils sont gavés à longueur d’année. En oubliant qu’ils ont sous leur pied tout le matériau terre nécessaire pour bâtir des maisons confortables et écologiques. Un matériau quasi gratuit ! Mais c’est un autre sujet.
En avons-nous terminé ? Non, car pour mettre en œuvre cette « boue », comme la qualifiait Auguste Perret, il faut un coffrage. En bois ? Chacun sait combien aujourd’hui le bois est rare et se raréfiera dans les décennies à venir.
Après le ciment, l’acier, le bois, il faut à nouveau de la pierre. En effet, le béton n’est jamais que de la pierre artificielle. D’aucuns diront de la pierre reconstituée pour éviter de reconnaître le caractère purement anti-nature de ce matériau. Mais puisqu’il faut se battre avec les mêmes armes qu’eux j’ai souvent qualifié la pierre de taille de « béton naturel préfabriqué ». Et ça marche !
Il faut encore transporter le gravier et le sable sur de longues distances, lesquels d’ores et déjà viennent à manquer. Il faut ensuite de l’eau pour malaxer le mélange et le transporter encore vers les chantiers. Ne parlons pas des adjuvants divers dont la traçabilité est difficile, sinon impossible. Et rend aujourd’hui les gravas déchiquetés du béton impossible à recycler.
Dans le deuxième cas de construction en pierre de taille massive, vous devez partir d’un bloc de pierre extraite d’une carrière. Celle-ci, la pierre de taille, est découpée dans les ateliers intégrés dans la carrière. Les scies sont refroidies avec de l’eau qui, non polluée, est entièrement réutilisée.
Les pierres, dans l’exacte dimension de leur position dans l’édifice, sont transportées sur le site de construction, levées par une grue munie d’une pince à pierre et posées sur un lit de mortier de chaux. Inutile de dire que ces murs ne reçoivent aucun produit de finition, qu’ils ne s’altèrent pas dans le temps, et que leur composition est absolument nature…
Bilan carbone de la pierre vs bilan carbone du béton : la fabrication