A la lumière du projet de loi “Bien vieillir” en cours de discussion au Parlement et des récentes recommandations du Conseil national de la refondation sur le logement, Thomas Chevandier, conseiller de Paris, s’interroge sur l’impérieuse nécessité de disposer de logements sociaux accessibles et adaptables pour préparer la transition démographique à venir. Dans le but de lutter contre l’isolement des personnes âgées, M. Chevandier suggère dix propositions qui appellent à la formation et à l’accompagnement des bailleurs sociaux. Ses propositions incluent des mesures telles que “MaPrimeAdapt'” ainsi que le développement de résidences sociales pour personnes âgées et de projets d’habitat inclusif. Ces propositions visent à créer un meilleur avenir pour les personnes âgées en leur garantissant l’accès à des logements abordables et adaptés.
Le vieillissement de la population des baby-boomers marque le début d’une transition démographique importante aux conséquences considérables. L’analyse des données disponibles, telles que la pyramide des âges et l’augmentation de l’espérance de vie, révèle l’ampleur et l’importance de cette transition. Il est impossible d’ignorer son importance dans le monde d’aujourd’hui. Malgré l’importance de l’enjeu, la réponse politique se fait toujours attendre. Le projet de loi sur le “Bien vieillir” est actuellement en discussion, mais son manque d’ambition, malgré les propositions alternatives, suscite des interrogations. En revanche, en matière de logement social et de solutions d’hébergement, des progrès ont été accomplis, avec des outils et des idées déjà en place, et des acteurs de plus en plus mobilisés depuis plusieurs années. Mais face à l’ampleur du défi, il faut changer d’échelle.
La démographie
D’ici 2030, la part des 75-84 ans dans la population totale augmentera de manière significative, soit de 50 %. En outre, la proportion de personnes âgées de 85 ans et plus devrait dépasser les 3 millions d’ici 2032. Ces changements démographiques sont considérés comme l’un des défis les plus urgents de ce siècle, au même titre que les transitions numérique et écologique. Luc Broussy, expert renommé du vieillissement, estime que la question de la transition démographique ne peut être abordée uniquement par le biais de politiques sociales en faveur du vieillissement, car elle modifiera fondamentalement l’équilibre de nos territoires et de nos villes. L’impact de ces changements est considérable, de l’affaiblissement du système de protection sociale, qui repose largement sur les contributions des personnes âgées, à la nécessité de mettre en place de nouveaux systèmes de sécurité sociale.
Vieillir chez soi
La question du vieillissement et de la perte d’autonomie ne peut pas être traitée uniquement par la création de places dans le secteur médico-social. Cela est dû à la fois aux limites quantitatives et aux désirs de la population vieillissante, qui souhaite vieillir dans le confort de son domicile. Il est donc essentiel de réfléchir au maintien à domicile des personnes âgées fragiles, qui passe par trois facteurs importants : un logement adapté ou accessible, un environnement bienveillant dans leur ville de résidence, et la possibilité de se déplacer aisément dans les espaces publics.Or, ces trois piliers sont souvent mis à mal dans les logements sociaux, d’où l’importance d’examiner comment améliorer les conditions de vie des personnes âgées dans ce type de logement.
Données démographiques des personnes âgées dans le parc social
Une récente étude comparative des enquêtes logement de l’Insee a mis en évidence une tendance significative au vieillissement des locataires du parc social. En 1984, 24 % des “chefs de famille” des ménages locataires de logements sociaux avaient moins de 30 ans, contre seulement 8 % en 2013. Par ailleurs, 20 % avaient entre 50 et 64 ans en 1984, contre 30 % en 2013, et 15 % avaient plus de 65 ans en 1984, contre 22 % en 2013.La tendance semble se poursuivre, puisqu’un grand bailleur social parisien compte déjà 46 % de locataires âgés de plus de 60 ans. On estime que ce pourcentage augmentera régulièrement d’au moins 1 % chaque année. Par ailleurs, ce même bailleur héberge actuellement plus de 3 000 locataires âgés de 80 ans et plus.
Il est fort probable que la tendance actuelle des personnes âgées à choisir de rester chez elles ne fera que s’accentuer. Cette tendance s’appuie sur deux facteurs clés. Premièrement, les personnes âgées ont un lien profond avec leur environnement et sont très motivées pour préserver leur maison. Deuxièmement, en raison du sentiment d’insécurité accru chez les personnes âgées, celles qui résident actuellement dans un logement social ne sont pas susceptibles de déménager dans un logement privé.L’Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) a publié un rapport qui confirme ces observations. Le rapport révèle que près de 10 % des logements sociaux sont occupés depuis plus de trente ans, tandis que près d’un tiers des logements sociaux sont occupés par le même ménage depuis plus de quinze ans. Ces statistiques sont particulièrement impressionnantes si l’on considère le nombre important de logements sociaux construits au cours des dernières décennies.
La mobilité tend à diminuer avec l’augmentation de la durée d’occupation, ce qui n’est pas surprenant. C’est particulièrement vrai pour les personnes résidant dans des logements sociaux, car les locataires de longue date sont peu enclins à déménager. En fait, plus ils restent longtemps dans leur logement, plus leur loyer est bas, ce qui rend leur départ encore moins probable. Par conséquent, l’augmentation du nombre de locataires plus âgés dans les logements sociaux est une tendance claire et indéniable, étayée par des données démographiques et statistiques.
Empêcher l’isolement
La crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19 et les mesures de restriction sociale qui en découlent ont mis au premier plan du débat public la question de l’isolement des personnes âgées, en particulier celles qui vivent dans des logements sociaux. Dans un rapport exclusivement consacré à cette question, le député Jérôme Guedj a mis en évidence le risque accru d’isolement auquel sont confrontées les personnes vivant dans des logements sociaux. Comme le note l’auteur, les bailleurs sociaux et leurs équipes locales ont joué un rôle crucial dans la lutte contre l’isolement pendant le lockdown. L’identification systématique des personnes vulnérables, la mise en œuvre de mesures visant à maintenir et à renforcer les liens sociaux et la solidarité, et le déploiement d’approches innovantes et ciblées pour répondre aux besoins des locataires sont autant de pratiques louables que les bailleurs sociaux ont spontanément mises en place, contribuant de manière significative au bien-être et à la sécurité de leurs locataires et d’autres personnes vulnérables.
La crise sanitaire actuelle a mis en évidence le problème de l’isolement des personnes âgées et l’a porté au premier plan de l’attention de la société. Les bailleurs sociaux sont particulièrement bien placés pour répondre aux atouts et aux défis associés à ce problème urgent.
Accessibilité ET adapté : équation impossible ?
Selon le rapport annuel 2018 de l’ANCOLS, le secteur du logement social n’a pas encore pleinement relevé les défis posés par le vieillissement de la population des locataires. Fait choquant, plus de la moitié des logements sociaux risquent d’être impactés par le vieillissement d’au moins un occupant dans un avenir proche. L’ANCOLS souligne la nécessité pour les organisations d’adopter des approches plus proactives et plus globales pour traiter cette question, plutôt que de s’en remettre à des solutions réactionnaires. L’agence demande aux organismes de logement d’être plus attentifs et de se mobiliser davantage pour assurer le bien-être et la sécurité de leurs locataires vieillissants.
Le monde du logement social a relevé le défi de s’adapter aux besoins des locataires avec des logements accessibles ou adaptés. Cependant, les bailleurs sociaux sont soumis à une pression énorme car ils doivent répondre à des obligations spécifiques pour transformer leurs bâtiments et modifier la gestion de leur patrimoine. Malgré les défis, le logement social a été proactif dans le traitement de ces questions, à la fois en termes d’adaptation des logements et de gestion locative.
Quel avenir pour nos aînés dans le parc social ?
Le vieillissement rapide de la population des locataires de logements sociaux est une réalité sociale importante à laquelle il faut prêter attention. Face à ce défi, les bailleurs sociaux ont engagé des travaux d’adaptation des bâtiments et ont commencé à intégrer un volet vieillissement dans leurs rénovations lourdes, comme le préconise l’USH. Par ailleurs, les bailleurs ont su adapter leur organisation territoriale et la pandémie de COVID-19 a mis en évidence leur capacité à assurer une veille sociale efficace pour accompagner les résidents confrontés à des difficultés liées à la perte d’autonomie et à l’isolement.
Cependant, cette dynamique n’est pas suffisante. Les bailleurs sont confrontés à des contraintes financières qui les empêchent de continuer à investir dans l’isolation thermique tout en répondant aux besoins de leurs locataires vieillissants. Pour garantir que les locataires de logements sociaux reçoivent le soutien nécessaire, il est essentiel de mettre en œuvre un plan global qui inclut des réaffectations budgétaires par rapport à la période quinquennale précédente.En réaffectant des fonds, les bailleurs peuvent entreprendre des projets d’adaptation à grande échelle, tels qu’un vaste plan d’ascenseurs et une rénovation systématique des appartements adaptés aux besoins des locataires âgés. Ce plan permettra non seulement d’améliorer les conditions de vie des personnes âgées, mais aussi de relever les défis posés par le vieillissement de la population.
La question qui se pose va au-delà des préoccupations budgétaires. Les pratiques de gestion locative des bailleurs doivent s’adapter à la transition démographique qui s’annonce. Cela passe par une redéfinition des responsabilités du personnel local et par la mise en place de mécanismes de mobilité efficaces pour permettre aux locataires âgés d’emménager dans des logements mieux adaptés à leurs besoins.
Alors que nous nous dirigeons vers une société vieillissante, il est essentiel d’identifier les innovations sociales qui peuvent apporter des solutions efficaces aux défis qui nous attendent. Encourager l’adoption de méthodes de logement collectif est l’une de ces solutions, allant des résidences pour personnes âgées aux logements partagés intergénérationnels qui incluent des modes de vie participatifs.
Cependant, l’adaptation du parc de logements sociaux à l’augmentation inévitable du nombre de locataires vieillissants nécessite un choix de société et ne peut reposer uniquement sur le volontarisme des propriétaires. Une évolution réglementaire, budgétaire et culturelle est nécessaire. En d’autres termes, une action politique est nécessaire pour traiter cette question à grande échelle.