Après la conférence nationale inaugurale du Réseau Français de la Construction en Paille, où en est la construction en paille ? Gabriel Martinez, coordinateur général du RFCP, fait le point.
L’utilisation de la paille dans les constructions, à la fois comme matériau isolant et parfois même comme matériau porteur, devient de plus en plus populaire. Bien que le nombre exact de ces constructions soit difficile à déterminer, on estime qu’il y a entre 500 et 1 000 projets de paille entrepris chaque année, et que le nombre total de ces constructions en France pourrait être d’environ 10 000. Avec la mise en œuvre de RE 2020, qui impose la mention des matériaux utilisés dans les permis de construire, des données fiables sur le nombre de nouvelles constructions utilisant la paille devraient être disponibles.
La France leader de la construction paille
La construction en paille a gagné en popularité dans les années 90, la Maison Feuillette à Montargis étant la plus ancienne construction en paille répertoriée, datant de 1920. Toutefois, ce n’est qu’en 2012 que les commandes publiques ont donné un véritable coup de fouet au marché. Aujourd’hui, la France est le pays d’Europe qui compte le plus de logements, d’écoles, de bureaux et de bâtiments industriels isolés avec de la paille. Les Règles professionnelles de la construction en paille (RP CP 2012) ont été mises en place par le RFCP pour réglementer la construction des structures isolées en paille. Ces structures relèvent désormais des “techniques courantes” de construction. Les régions Centre-Val de Loire, Pays de la Loire et Nouvelle Aquitaine sont actuellement les plus dynamiques, avec le plus grand nombre d’appels d’offres publics, tandis que les Hauts de France ont également connu un développement important ces dernières années. Les industries locales ont joué un rôle essentiel dans la croissance du secteur.
Construction ou préfabrication
Les isolants en bois et en paille sont couramment utilisés dans les structures à ossature bois qui intègrent des panneaux de contreventement ou des ossatures poteaux-poutres, suivant respectivement les normes DTU 31.2 et DTU 31.1. La préfabrication est la technique de construction la plus utilisée, notamment pour les bâtiments de différentes tailles. Les murs des caissons peuvent être isolés et fermés en atelier, puis montés sur site en quelques jours. Les petites et moyennes entreprises, ainsi que les sociétés ne comptant qu’une poignée d’employés, peuvent facilement prendre en charge ce type d’installation, ce qui leur permet de travailler confortablement sans être affectées par les conditions météorologiques. Gabriel Martinez recommande de ne pas exposer les caissons à la pluie entre la livraison et l’achèvement de l’étanchéité de la toiture afin d’éviter tout dommage. Les murs humides sont le type de dommage le plus courant, qui peut être causé par des monteurs mal formés ou des divisions de chantier mal échelonnées. Les caissons peuvent également être transportés sur le chantier ouverts d’un côté et recouverts d’une bâche, s’ils doivent recevoir un enduit de terre ou de chaux sur place. Bien que la fabrication in situ soit de moins en moins populaire, elle reste courante dans la construction de maisons individuelles et de bâtiments d’une superficie maximale de 400 m². Les murs à ossature bois sont contreventés et les paquets sont insérés avant de fermer l’enveloppe.
La paille porteuse
La technique du Nebraska, développée aux États-Unis dans les années 1880, est à la base de la construction de structures porteuses en paille. Les murs sont constitués de bottes de paille disposées en quinconce, cerclées ou non, mais toujours comprimées entre les lisses supérieures et inférieures. La construction suit plusieurs principes fondamentaux, notamment l’épaisseur des murs, la hauteur et la densité des bottes, ainsi que les conditions climatiques, les dimensions de l’ouverture et la répartition du poids du toit.Les bâtiments modernes combinent souvent des murs porteurs en paille et des murs à ossature en bois remplis de paille. Ces types de constructions ne sont pas très courants et sont le plus souvent auto-construits. Cependant, certains bâtiments publics de grande envergure utilisent également cette méthode.
La paille en rénovation
L’isolation thermique par l’extérieur (ITE) avec des bottes de paille est une méthode innovante pour les projets de rénovation des bâtiments, qui n’a pas encore été intégrée dans les directives professionnelles. Cette technique est particulièrement prometteuse pour le logement social et certains acteurs du secteur souhaitent la mettre en œuvre à plus grande échelle. Le projet du 132 rue de la Convention en est un exemple notable : un immeuble de huit étages situé dans le 15e arrondissement de Paris a été isolé avec cette méthode pour le compte du bailleur Paris Habitat.Bien que le coût de l’ITE avec de la paille soit plus élevé que celui des solutions traditionnelles, comme le polystyrène ou la laine minérale, cette option peut s’avérer plus rentable à long terme. Les lignes directrices pour l’ITE sont actuellement en cours d’élaboration et devraient être finalisées dans les trois prochaines années. Une quarantaine d’opérations ont été identifiées jusqu’à présent, y compris des maisons individuelles et des bâtiments de grande taille allant jusqu’à R+7. Des tests de résistance mécanique en laboratoire seront également réalisés.
En 2022, les appels d’offres publics porteront sur 76 “ouvrages” nécessitant de la paille, en utilisant toutes les techniques disponibles.
Insufflation de paille hachée : l’avenir ?
La coopérative La Tricherie dans la Vienne et la SCIC ielo dans le Limousin testent une nouvelle méthode d’utilisation de la paille par hachage et soufflage dans des caissons, à l’instar de l’utilisation de la ouate de cellulose. Cette approche est mise en œuvre dans différents projets de construction et un processus de normalisation a été lancé afin d’obtenir un avis technique. Selon Gabriel Martinez, le coefficient de conductivité thermique calculé pour la paille hachée est supérieur au lambda moyen des bottes de paille (qui a un λ de 0,052 W/mK) lorsque l’on considère la même densité pour les deux produits. Cette différence est due aux conditions d’échantillonnage et au fait que les balles sont un produit non normalisé, ce qui se traduit par une valeur calculée supérieure de 20 %. Il s’agit donc d’une solution prometteuse qui mérite d’être explorée.
Qualité permise par la formation
La paille est un matériau naturel, biodégradable et durable qui présente de nombreux avantages, tels qu’une bonne isolation et des propriétés de stockage du carbone, avec une empreinte carbone de -9 kg EqCO2/m. En raison de ces avantages, de plus en plus de maîtres d’ouvrage et d’architectes s’intéressent à l’utilisation de la paille dans leurs constructions. Cependant, les ingénieurs en structure et les cours de construction de l’éducation nationale ne proposent pas actuellement de cours Pro-Paille, qui sont disponibles dans trois ENSA à Clermont-Ferrand, Lyon et Marseille.Si de nombreux cabinets d’architectes en France forment à la construction en paille, l’offre des entreprises de construction n’est pas homogène, certaines régions étant mieux loties que d’autres. Certains constructeurs utilisent la paille sans aucune formation, ce qui est préoccupant pour le secteur. Les constructeurs traditionnels ne connaissent pas les règles de perspirance des murs, qui permettent d’éviter que l’humidité ne s’installe ou ne reste. Pourtant, des organismes proposent des formations depuis des années, comme la formation Pro-Paille de 5 jours qui a accueilli plus de 800 stagiaires en 2022. D’autres formations sont plus courtes et adaptées à des métiers spécifiques.
Les entreprises peuvent également recevoir des formations dans leurs locaux pour intégrer le produit lourd dans leurs habitudes de travail. Cette démarche permet à tous les salariés, y compris le bureau d’études, l’atelier et le levage, d’être formés à l’intégration de la paille dans leur travail.
Des aides pour compenser le surcoût
Gabriel Martinez analyse que si l’utilisation du bois et de la paille dans la construction est rentable, le processus implique plus d’intelligence et de main d’œuvre, ce qui le rend plus coûteux que la construction conventionnelle. Cependant, le résultat final est de qualité supérieure. Les constructeurs ont du mal à absorber le surcoût, en particulier dans la situation économique actuelle. Par conséquent, la construction en bottes de paille gagne en popularité sur le marché public, où il existe d’autres méthodes de financement et une logique d’économie de construction à plus long terme que dans le secteur privé. Martinez suggère que des incitations financières de l’État et des régions pourraient contribuer à promouvoir la valeur de ces constructions dans l’économie locale. Par exemple, les bâtiments répondant à certains critères et utilisant des matériaux bio-sourcés pourraient bénéficier d’une TVA à 0 %.
Des tailles variées
Si la traditionnelle botte de paille de 36-37 cm d’épaisseur, mesurant 47 x 80 à 120 cm de long, reste populaire, de nouveaux formats d’emballage apparaissent. L’un de ces nouveaux formats est une botte de 22 cm d’épaisseur qui est introduite par quelques fournisseurs dans l’ouest de la France. Ces fournisseurs reconditionnent les grosses balles rondes dans leurs ateliers et les livrent sur palettes, bien que ce format ne soit pas encore disponible à l’échelle nationale.Ce nouveau type de conditionnement est une alternative intéressante qui peut contribuer à réduire les coûts de construction en garantissant que les balles sont calibrées pour s’adapter aux montants d’une charpente conventionnelle et à un espacement de 60 cm entre les ossatures bois. Certaines entreprises disposent de leurs propres presses et fabriquent les ballots en interne, et une FDES sur les emballages d’atelier devrait être publiée à la fin de l’année.
Quel que soit le format d’emballage, il est important de maintenir une densité de paille minimale de 80 kg/m³ pour éviter le tassement et résister au feu et aux rongeurs. Les balles de densité plus élevée peuvent atteindre 150 à 250 kg/m³. En outre, le taux d’humidité doit être maintenu à un niveau bas, avec un maximum de 20 %.
D’autres types de paille
À l’heure actuelle, le blé est le seul fournisseur de paille utilisée dans la construction. Cependant, le riz pourrait également être utilisé, car sa paille est très résistante et n’est pas limitée par les réglementations professionnelles. Malgré cela, la paille de riz n’est pas largement utilisée comme isolant. Il est recommandé d’explorer de nouvelles opportunités pour la paille de riz, car ses caractéristiques ont déjà été étudiées et d’autres tests sont en cours. Ceci fait partie d’un dossier déposé par le RFCP en réponse à l’appel à projets SIC, Soutien à l’innovation dans la construction matériaux bois, biosourcés et géosourcés lancé par l’Ademe fin 2022.