Les villes aspirent souvent à être perçues comme intelligentes et durables, agréables et attachantes, dynamiques et condensées, respectueuses de l’environnement et séduisantes, apaisées et exaltées, accueillantes et conviviales. Ces aspirations sont généralement exprimées par les équipes municipales lorsqu’elles dévoilent des projets, par les experts lorsqu’ils les qualifient de termes agréables, et par les citoyens lorsqu’ils espèrent en faire l’expérience.
Les trois auteurs, critiquant le faste des métropoles, plaident pour une ville “stationnaire”, avec John Stuart Mill pour patron. Ce dernier, partisan du libéralisme, de l’utilitarisme et même de la décroissance, estimait que l’état stationnaire n’était pas à craindre et qu’il ne signifiait pas une immobilité du progrès humain. Dans leur livre, Philippe Bihouix, Sophie Jeantet et Clémence de Selva expliquent que l’état stationnaire n’est pas une excuse pour stagner ; tout en appelant à une réduction drastique de la construction, ils soulignent en même temps l’immense potentiel de remodelage et de revitalisation de la vie urbaine. En combinant leurs diverses expertises, à travers des sources documentées et des illustrations agréables, les auteurs offrent une vision détaillée, fiable et encourageante de la ville et de son habitat, à la fois pour penser et pour agir.
Contre l’urbain moderne
Les auteurs critiquent la tendance actuelle à la métropolisation et à la mégapolisation avec une plume acérée, des données et de l’humour. Ils expliquent que l’époque actuelle célèbre les villes pour leur attractivité et leurs performances économiques, plutôt que pour la qualité de vie et les facteurs écologiques. Par conséquent, ils suggèrent que l’augmentation de la densité n’est pas nécessairement une bonne chose, car elle peut conduire les gens à quitter la ville, soit pour la banlieue, soit complètement. En outre, ils affirment que le concept de “ville intelligente“, avec ses projets grandioses, ne parvient pas à révolutionner véritablement la vie et peut même conduire à une augmentation de la surveillance. Ils suggèrent qu’au lieu de poursuivre des technotopies, il serait plus sage de simplifier et de ralentir nos modes de vie, et de se concentrer sur l’intelligence collective pour concevoir des villes et des vies plus agréables.
Construire moins et réhabiliter
Sur la question cruciale du logement, nos auteurs dressent un constat simple : depuis 2007, la population française augmente moins vite que le nombre de logements créés chaque année. Cela signifie que pour chaque habitant supplémentaire, plus de deux logements sont construits chaque année. Ce constat bat en brèche l’idée reçue selon laquelle il faudrait construire un demi-million de nouveaux logements par an, affirmée par les promoteurs et la Fondation abbé Pierre. Pour s’adapter au parc de logements existant, l’idée de ville stationnaire est la plus fondée, c’est-à-dire qu’il est préférable d’optimiser l’existant plutôt que de construire du neuf.
A cet égard, nos trois spécialistes proposent une limitation drastique de l’artificialisation : le changement d’affectation des sols, qui passent d’un caractère rural à un caractère urbain. Ce changement souvent irréversible peut avoir des conséquences néfastes sur l’environnement et l’objectif actuel est “zéro artificialisation nette”. Nos auteurs vont plus loin et plaident pour une “artificialisation brute zéro”. Pour que cela devienne une réalité, il faut rénover, réhabiliter, recycler et réutiliser les matériaux plutôt que de construire du neuf. Cela signifie qu’au lieu de construire “plus haut”, les zones artificialisées existantes devraient être révisées en vue de créer des quartiers de logements mixtes, de commerces de proximité et de zones d’activités à l’échelle humaine.
Les auteurs sont convaincants dans leur analyse de la situation actuelle du logement en France. Le pays compte 37 millions de logements, avec un taux de vacance de 10 % et 10 % de résidences secondaires. Cela représente 20 % du taux de construction actuel et les auteurs soulignent l’importance de la sous-occupation des logements. 8,5 millions de logements sont sous-occupés et 1,5 million sont sur-occupés. Tout cela signifie qu’il n’y a, en théorie, pas besoin de construire, mais de réaffecter. Pour cela, l’éco-conception est suggérée avec l’utilisation de plus de bois et même de terre, mais les nombreuses réglementations et labels en la matière inquiètent.
De nouvelles villes dans les anciennes
Dans l’ensemble, ce ne sont pas les techniques spécifiques qui sont importantes, mais plutôt les réalités sociétales, les modes de vie et l’aménagement du territoire. L’objectif d’une ville immobile n’est pas de maintenir le statu quo existant, mais de le transformer afin d’optimiser l’utilisation de l’espace. Cela devrait être particulièrement vrai en ce qui concerne la taille des unités de logement et la taille des ménages, notamment dans le parc de logements sociaux. En outre, les auteurs suggèrent que les gens vivent davantage ensemble et décohabitent moins, surtout lorsqu’il s’agit de couples, car le divorce peut avoir un impact négatif sur l’offre de logements.
La taille moyenne des ménages était de 3,1 personnes en 1960, alors qu’elle est actuellement de 2,1. En outre, en 1960, le Français moyen disposait d’une surface habitable de 20 mètres carrés, alors qu’elle est aujourd’hui de 40 mètres carrés. Ces chiffres montrent une tendance à la diminution de la taille des ménages et à l’augmentation de la taille des logements. Les défenseurs de la ville stationnaire suggèrent donc que les ménages et les populations soient redistribués dans le parc de logements et sur le territoire. Cela implique de “vivre” et de “travailler” davantage à la campagne.
La philosophie sous-jacente de la ville immobile est que les réalités sociales, les modes de vie et l’aménagement du territoire sont plus importants que les techniques utilisées. L’objectif n’est pas de figer le statu quo, mais de le transformer afin d’optimiser l’utilisation de l’espace. Il s’agit notamment de veiller à ce que la taille des ménages corresponde à la taille des unités de logement et que les anciennes et les jeunes générations restent ensemble plus longtemps et puissent se retrouver. En outre, les auteurs soulignent que les séparations résultant des divorces peuvent avoir un impact négatif sur l’offre de logements, et qu’il est important de penser en termes d’ordre de grandeur lorsqu’il s’agit de ménages et de populations. L’idée est de redistribuer les ménages et les populations dans le parc de logements et sur le territoire, afin de permettre à un plus grand nombre de personnes de vivre et de travailler à la campagne.