L’industrie de la construction est un défi environnemental important car elle implique une forte extraction de matériaux et la production de déchets. Dans des régions comme l’Île-de-France, qui subissent une reconstruction continue, la mise en œuvre de boucles circulaires pour minimiser le transport des matériaux et maximiser leur réutilisation est cruciale. Dans le Val-de-Marne, plusieurs organisations prennent les devants dans ce domaine.
Adeline de Snoeck, qui a créé des boucles circulaires pour le cabinet d’études Neo Eco, a déclaré que le secteur de la construction générait 240 millions de tonnes de déchets par an en France. Ce volume est notamment supérieur aux 30 millions de tonnes d’ordures ménagères. Le sable, qui est la deuxième matière la plus consommée après l’eau, est à l’origine de 75 % du béton. La région Ile-de-France compte un nombre important de chantiers de construction, notamment dans le cadre du futur métro Grand Paris Express. Le volume total des déblais pour la seule construction du métro est estimé à 47 millions de tonnes sur dix ans, ce qui représente entre 10 et 20 % de l’ensemble des déblais de la région chaque année.
Recyclage de matériaux de construction
La société Yprema, basée à Chennevières-sur-Marne, dans le Val-de-Marne, a été pionnière dans le recyclage des matériaux de construction. Elle réalise un chiffre d’affaires de 24 millions d’euros et emploie une centaine de personnes. Fondée au début des années 80 par Yves Prigent SA, spécialisée dans le terrassement, la déconstruction, la voirie et l’assainissement, l’histoire de la famille Prigent commence. A l’époque, ils devaient acheter des remblais et des graviers dans des décharges et des carrières. En 1984, ils ont acheté leur première installation de broyage de béton armé à Amsterdam. En 1989, la société Yprema est créée pour se concentrer uniquement sur les activités de récupération et de broyage de matériaux. Ils ont créé des centres de collecte de déchets pour que les artisans puissent se débarrasser de leurs déchets et obtenir des matériaux recyclés pour les fondations des allées. La proximité est économiquement bénéfique pour les entreprises de construction d’Île-de-France, qui manquent de matériaux naturels, et les plateformes d’Yprema sont stratégiquement situées. La recherche de terrains industriels pour l’implantation de nouvelles plates-formes est aujourd’hui le principal défi à relever. Il faut compter au moins 3 000 à 5 000 m2 de terrain pour les plates-formes de transit de matériaux et 20 000 m2 pour une plate-forme de recyclage, selon le président d’Yprema.
Dans les zones densément peuplées, il est de plus en plus difficile de trouver des emplacements appropriés pour les installations de gestion des déchets en raison des exigences obligatoires en matière d’espaces verts. C’est une conséquence de la proximité des chantiers de construction. Selon Claude Prigent, qui ouvre une plateforme tous les cinq ans environ, le respect de ces conditions est crucial pour l’acceptation, même s’il faut payer jusqu’à 100 euros par mètre carré. Si le recyclage local des matériaux présente des avantages environnementaux évidents, il est tout aussi important d’obtenir l’approbation de la communauté. Il est essentiel de veiller à ce que l’installation s’intègre dans le paysage et ne devienne pas une horreur pour les résidents locaux. Les gens ne veulent pas voir constamment un chantier de construction devant chez eux.
Mais aussi le transport
La filiale française de Cemex, cimentier mexicain implanté à Rungis, reconnaît la problématique de la proximité des chantiers. L’absence de carrières en périphérie de la ville oblige l’entreprise à se déplacer plus loin, comme l’indique Louis Natter, directeur du développement durable. Cemex a développé son réseau de carrières et de sites de production de granulats à proximité de la Seine afin d’éviter la congestion des camions. L’entreprise a mis en place un système de fret fluvial à double sens, l’un servant à approvisionner les chantiers de construction et l’autre à éliminer les déchets. Cemex, ainsi qu’Eiffage et Sarpi, ont été choisis pour évacuer les 7,5 millions de tonnes de déchets de la ligne 15 Est, avec l’objectif de recycler plus de 70 % des déchets. En échange, les matériaux et déblais des chantiers sont insérés dans des carrières pour autant qu’ils soient inertes.
Démolition et déconstruction
Les déchets inertes sont des matériaux qui ne subissent aucune décomposition, combustion ou réaction chimique. Ce type de déchets ne nuit ni à l’environnement ni à la santé humaine et représente plus de 90 % des matériaux issus de la déconstruction. Récemment, une distinction a été faite entre trois catégories de déchets, à savoir les déchets inertes (classe 3), les déchets non dangereux mais pas nécessairement inertes (classe 2) et les déchets dangereux (classe 1). Le système de classification a encouragé la pratique du tri, car les décharges de classe 1 et 2 sont relativement coûteuses.La mise en place de la filière Rep PMCB (Produits et Matériaux de Construction) a rendu obligatoire la reprise et le tri des déchets, en échange du paiement d’une éco-contribution lors de l’achat initial. Les entrepreneurs sont également tenus de respecter un cahier des charges strict lors de la construction. Par exemple, lors de la construction d’un bâtiment dont les murs en béton sont recouverts de plâtre, ce dernier doit être poncé pour laisser apparaître le béton nu. En effet, le plâtre n’entre pas dans la catégorie des déchets inertes, contrairement au béton.
Recyclage et réemploi
Le processus d’ouverture de nouvelles carrières sur des terrains vierges est devenu de plus en plus compliqué et sensible. L’enjeu n’est donc plus seulement de recycler, mais surtout de réutiliser des matériaux qui sont au plus près de leur déconstruction. Selon Louis Natter, l’économie circulaire offre une solution à ce problème, car elle permet de préserver des matériaux naturels de plus en plus difficiles d’accès. Cela est dû à la raréfaction des ressources et aux tensions sociétales croissantes qui découlent des conflits d’usage avec l’agriculture et le tourisme.Pour atteindre cet objectif, le cimentier insiste sur la nécessité d’innover en matière de matériaux et a développé deux types de béton recyclé. Le premier est issu de la propre production de l’entreprise, en concassant les chutes de béton pour créer des granulats qui peuvent être réutilisés dans de nouvelles formulations de béton, à hauteur de 60 % du total. Frédéric Motreff, responsable sectoriel Marine, Ports Ile-de-France et Chantiers de la Haute-Seine du cimentier, explique ce processus.
Le second type de béton recyclé est fabriqué à partir de matériaux provenant directement de bâtiments démolis. C’est le cas du chantier Lightwell à La Défense, où 7 000 m3 de matériaux de démolition ont été transformés en granulats de béton pour être réutilisés sur le site. Le groupe a mis en place une plate-forme sur le port de Gennevilliers pour traiter les gravats avant de les acheminer vers l’unité de production de Nanterre.
Le principal défi pour les cimentiers est de s’assurer que le béton recyclé est suffisamment résistant et ne constitue pas une menace pour les nouvelles constructions. C’est d’autant plus important que l’objectif est de construire des structures, et pas seulement de remblayer des routes. Cemex a reçu une certification Afnor NF en 2022, ce qui est une première en France et offre une garantie aux clients tout en permettant à l’entreprise d’utiliser davantage de granulats dans la production de béton. De son côté, Holcim, cimentier suisse et filiale du groupe Lafarge, a développé un clinker 100 % recyclé. Ce liant a permis à l’entreprise de construire les premières unités de logement en utilisant des matériaux entièrement réutilisés. Outre la réutilisation des matériaux, ces innovations mettent également l’accent sur l’éco-conception, visant à produire du béton avec des émissions de CO2 et une consommation d’eau réduites.
Reconstruction du quartier Gagarine à Ivry-sur-Seine
À la Cité Gagarine d’Ivry-sur-Seine, une boucle locale de déconstruction-reconstruction a été établie comme un exemple pionnier dans la région du Val-de-Marne. La cité en forme de T, construite en béton et en briques rouges dans les années 1930 par les architectes Henri et Robert Chevallier, a été transformée en un projet d’agri-cité qui allie agriculture urbaine et vie citadine. Plutôt que d’utiliser la méthode habituelle consistant à démolir rapidement le lotissement, un projet de déconstruction méticuleux de 16 mois a été entrepris afin de s’assurer que les matériaux puissent être triés et réutilisés. Grâce à une collaboration avec Backacia, un marché de matériaux d’occasion, et Réavie, une association pour le réemploi des matériaux et l’intégration des personnes, 12 000 m3 de matériaux structurels ont été recyclés. Le processus de déconstruction est documenté dans une vidéo de Grand Paris Aménagement en timelapse. Le créateur de boucles circulaires explique que le processus de valorisation a pris du temps mais a permis d’optimiser 1 million d’euros. Concrètement, 3 500 m3 de matériaux ont été recyclés en granulats de béton pour les nouveaux chantiers, 2 100 m3 de mélange béton-brique ont servi à remplir les caves du bâtiment, et 6 000 m3 ont été utilisés en remblais pour les chantiers de voirie et de réseaux. En plus du gros œuvre, plus de 2 000 portes ont été réutilisées sur le chantier, et des blocs de boîtes aux lettres, radiateurs et autres dalles de béton ont été vendus sur la place de marché Backacia ou réutilisés avec l’association Réavie.
Adeline de Snoeck signale que d’autres initiatives sont menées dans le Val-de-Marne. Valophis Habitat à Orly a collaboré avec eux pour la démolition des bâtiments Brazza, qui comprennent 230 logements dans le quartier des Navigateurs et qui devrait durer 14 mois. Une étude d’opportunité a été réalisée pour développer une installation de concassage de béton sur le site afin de desservir les chantiers voisins.