La réversibilité des bâtiments est un enjeu bas carbone mais pas que. L’évolution des usages urbains, et du bâtiment dans son Cycle de Vie, fait de la réversibilité des bâtiments un nouveau mode de conception plus adapté, plus durable et plus économique sur le long terme.
Un des exemples les plus emblématiques est le village des athlètes des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, qui accueillera des logements avant de laisser place à un quartier durable avec des bureaux, des logements, des commerces et des équipements publics.
Xpair présente cette étude réalisée par l’AQC, accompagnée par Ville Aménagement Durable (VAD), avec le soutien du ministère de la Transition écologique, qui, sur la base d’analyses et enquêtes auprès de professionnels déjà parties prenantes d’opérations réversibles, permet de tirer de nombreux enseignements parmi lesquels :
Les réglementations acoustique, sécurité incendie, accessibilité… ne sont pas les mêmes selon la destination de l’ouvrage, ce qui peut représenter un frein. Pour garantir la réversibilité d’un bâtiment, il est donc important de prendre des mesures conservatoires afin d’assurer une mise à niveau ultérieure possible ;
Le caractère innovant de la construction de bâtiments réversibles implique de procéder à une réorganisation des rôles et des méthodes de travail pour se prémunir de non-qualités ;
Il est essentiel d’étudier les assemblages des éléments constitutifs du bâtiment en veillant à l’indépendance des couches et systèmes (trame de bâtiment, démontabilité, systèmes constructifs poteaux poutres…).
Sur l’importance d’avoir une documentation qualitative, précise et exploitable pendant toute la durée de vie du bâtiment et sur le risque de chevauchement de responsabilités et garanties.
Bâtiments réversibles, points de vigilance et recommandations
A qui est destiné ce Guide de la Réversibilité des Bâtiments ?
Ce document est destiné en priorité aux professionnels de la construction (aménageurs, maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, entrepreneurs et artisans …) qui participent à des opérations de construction ou de réhabilitation destinées à des bâtiments tertiaires, des établissements recevant du public et à de l’habitat collectif et individuel.
Il a pour objectif de faire un état des lieux des connaissances et des définitions des bâtiments réversibles, d’identifier les points sensibles et d’émettre des recommandations quant à leur concepts.
Le guide « Réversibilité des Bâtiments, points de vigilance et recommandations »
Parmi le sommaire …
Contexte et approche globale de la réversibilité
Répondre à un contexte socio-économique
Savoir quel niveau de réversibilité cibler
Faire preuve d’agilité
Connaitre les règles de réversibilité pour le pas freiner le projet
Intégrer les évolutions culturelles de notre temps
Repenser les techniques constructives
Réorganiser les rôles et méthodes de travail
Penser la réversibilité comme une gestion patrimoniales
Garanties et responsabilités
Téléchargez le guide réversibilité des bâtiments
Eléments de langage de la réversibilité des bâtiments
Pour ne pas faire d’amalgame et monter en compétence sur la base d’un langage commun, cinq catégories ont été retenues pour l’étude en question avec les définitions suivantes :
démontabilité : capacité d’un bâtiment à être démonté de façon non destructive, pour le déplacer, ou pour restituer le site à son état d’origine s’applique aussi aux systèmes constructifs et assemblages ;
évolutivité / modularité : capacité à la flexibilité et à l’élasticité afin de faciliter les changements d’affectation ;
hybridation : réversibilité progressive du fait d’une liberté de l’espace, d’une indétermination des usages ou d’une programmation plurifonctionnelle au sein d’un même bâtiment ;
réversibilité : aptitude d’un ouvrage, neuf ou existant, à changer facilement d’usage plusieurs fois dans le temps ;
transformation : reconversions et restructurations lourdes avec changement de destination.
La réversibilité : un des sept piliers de l’économie circulaire « l’Allongement de la durée d’usage » Source ADEME
Idées et commentaires sur des bâtiments réversibles
Il faut savoir quel niveau de réversibilité viser et se fixer des objectifs
La question de la réversibilité des bâtiments doit être pensée en amont du projet, par le maître d’ouvrage. La programmation permet d’anticiper la réversibilité mais doit concerner les deux échelles. Une mission de programmation architecturale doit forcément questionner la programmation urbaine pour contextualiser et mettre en perspective la réversibilité.
Exemple d’un immeuble réversible de huit étages
Pour un immeuble réversible de huit niveaux prévus pour accueillir six étages de logements et deux étages de bureaux, seulement deux étages peuvent être transformés.
Les raisons sont à la fois d’ordre réglementaire et dimensionnel. Il y a d’abord un problème d’effectifs lié à la sécurité incendie. Si l’on regarde de près les contraintes de sécurité incendie et plus particulièrement d’évacuation, on s’aperçoit que pour les niveaux de bureaux, l’effectif est plus important que pour du logement. Des bureaux à tous les étages nécessiteraient un nombre et une largeur plus importants des cheminements d’évacuation, en particulier la largeur des escaliers.
Un autre point est celui du dimensionnement de la structure, mais aussi des équipements techniques du bâtiment.
Prenons l’exemple de la ventilation : les bureaux sont en double flux tandis que les logements sont plutôt en simple flux. Pour assurer le rafraîchissement des bureaux l’été, la CTA double flux est équipée d’un module adiabatique. Ces éléments techniques ne sont pas dimensionnés pour les huit niveaux car cela aurait été trop contraignant.
L’enjeu ici est d’offrir une souplesse programmatique tout en modérant le surinvestissement.
Exemple d’un immeuble de logements flexibles et adaptables
Pour cet immeuble, la question de la valeur environnementale n’a pas été traitée en suréquipant le bâtiment d’éléments techniques. Mais c’est le temps qui a été pris comme valeur de décarbonation car il y a eu rallongement de la durée de vie du bâtiment. L’immeuble n’est donc pas bas carbone à sa livraison, mais il le sera 60 ans plus tard.
Exemple d’une opération réversible
En conception, il y a un temps important d’allers-retours entre concepteurs et promoteurs pour trouver le bon équilibre permettant de concilier les besoins propres à la réversibilité et les habitudes programmatiques du promoteur.
Par exemple, la distribution de l’électricité sur les plateaux de bureaux ne se fait pas « en tout point », car il n’y a plus de faux plancher technique, mais se fait en goulotte.
Finalement, sur le projet on a :
– des logements qui ne ressemblent pas aux logements habituels ;
– des bureaux qui ne ressemblent pas aux bureaux habituels.
Ces espaces atypiques ont facilement trouvé leur marché.
Exemple d’immeuble réversible construit par un promoteur privé
Ici, le promoteur surinvestit, mais il vend à des prix plutôt supérieurs aux prix du marché car les espaces sont plus qualitatifs et l’implantation est dans un contexte économique privilégié.
Il y a donc un surcoût de la construction, mais le promoteur s’y retrouve. Pour les futurs acquéreurs, ils ne vont pas considérer la réversibilité comme plus-value.
Réversibilité des bâtiments : les freins réglementaires mais en nette évolution
Par Canal Architecture : Epaisseur bâti : 13 m ; Hauteur d’étage : 2,70 m ; Circulation : placette et pontons extérieurs ; Procédé constructif : poteaux dalles ; Distribution des réseaux : sans reprise structurelle ; Enveloppe : 30 % à modifier ; Doubles niveaux : RDC actifs et toits habités.
Dans la plupart des publications ou articles, les freins réglementaires suivants sont par exemple évoqués :
permis de construire / déclarations préalables ;
fiscalité : question de la TVA, non identique pour bureaux et pour logements ;
PLU : zonages fonctionnels ;
sécurité incendie : réglementations différentes entre bureaux et logements.
Depuis ces premières publications, les lignes sont en train de bouger. On note ainsi des évolutions règlementaires dévoilant de nouvelles perspectives. À cette évolution du cadre réglementaire s’ajoute la montée en compétence de la filière qui anticipe de mieux en mieux ces freins.
La connaissance se construit progressivement, alimentée par des projets expérimentaux et pilotes pour ce qui est de la réversibilité en conception et par des retours d’expériences de plus en plus nombreux en transformation de bureaux en logements.
Permis de faire, 2016 (loi LCAP du 7 juillet 2016, article 88)
Cet article a depuis été abrogé par la Loi ELAN mais il permettait à titre expérimental pour certains équipements publics ou logements de déroger aux règles de sécurité incendie et d’accessibilité, sous réserve d’atteindre des résultats similaires à ceux garantis par la réglementation.
Permis d’innover, 2019 (loi ELAN, 2018)
Il permet de déroger à certaines règles de construction et d’urbanisme dans certaines zones précises :
Opérations d’Intérêt National (OIN) ;
Grandes Opérations d’Urbanisme (GOU) ;
Opérations de Revitalisation du Territoire (ORT) ;
Village des athlètes de Paris 2024.
Permis à double état, 2020 (décret de juin 2018)
Il permet une reconversion rapide des infrastructures prévues pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
Le dispositif anticipe et limite le protocole d’un second permis pour la transformation des bâtiments en logements.
Attention, s’il est facile à mettre en œuvre pour des constructions dont on connaît la temporalité des usages, il n’en est pas forcément de même à plus long terme pour des constructions dont la réglementation, les référentiels techniques ou le droit de l’assurance diffèrent selon la destination.
Réversibilité des bâtiments : qu’en retenir ?