La reconversion de bâtiments industriels est de plus en plus mise en avant par les politiques et les médias comme l’une des réponses possibles au manque structurel de logements en Île-de-France. Quel apport peut-on réellement attendre de ce mode de production dans un avenir proche ?La conversion de bâtiments industriels en logements est une proposition attrayante pour de nombreuses raisons. Premièrement, elle peut fournir des unités de logement dont le besoin se fait cruellement sentir dans des régions qui souffrent d’un manque de logements. Ensuite, elle peut contribuer à revitaliser des zones industrielles en déclin. Enfin, elle peut fournir des logements abordables à des personnes qui ne peuvent peut-être pas se permettre les options de logement traditionnelles.
Malgré ces avantages potentiels, il est important de noter que la conversion de bâtiments industriels en logements n’est pas une panacée pour la crise du logement en Île-de-France. En fait, cette approche présente plusieurs inconvénients potentiels. Premièrement, le processus de conversion d’un bâtiment industriel en unité de logement peut être assez coûteux. Ensuite, les unités de logement résultantes peuvent ne pas être de la même qualité que les unités de logement traditionnelles. Enfin, la conversion de bâtiments industriels en unités de logement pourrait ne pas être en mesure de suivre le rythme de la demande de logements en Île-de-France.
La transformation de bâtiments non résidentiels en logements, poussée par les objectifs Zero Net Artificialization (ZNA) et Zero Net Emissions (ZNE), ainsi que par le développement du télétravail, semble bénéficier d’un contexte particulièrement favorable à son développement. Des bâtiments de toutes sortes sont concernés : non seulement des espaces de bureaux, mais aussi des locaux commerciaux, de stockage, industriels et agricoles, ainsi que des bâtiments publics (administratifs, scolaires, etc.) ou des parkings. La transformation de ces bâtiments d’activités est également une réponse au problème de l’obsolescence de certains d’entre eux, soumis à des exigences croissantes (environnementales, de localisation, etc.) de la part de leurs utilisateurs et des pouvoirs publics. Le potentiel avéré de ce type d’opération ne doit cependant pas être surestimé : il existe encore des obstacles majeurs à leur généralisation, et les données disponibles permettent de mieux évaluer l’impact de ce type d’opération.
Contexte favorable à la “seconde vie” des bâtiments
Du point de vue de la ZAN, la transformation de bâtiments obsolètes en logements évite la consommation de terrains non bâtis tout en permettant une densification peu bruyante de la zone urbanisée. Elle offre également la possibilité de renforcer la diversité urbaine en améliorant l’équilibre entre l’emploi et le logement dans les zones à fort secteur tertiaire. Ces transformations peuvent contribuer à la mixité sociale en favorisant la production de logements sociaux dans les zones en tension.
Dans une perspective ZEN, en plus de limiter l’artificialisation des sols, ces transformations améliorent le bilan carbone de la production de logements neufs grâce à la conservation d’une grande partie du gros œuvre, contrairement aux opérations de démolition-reconstruction. Corollaire de ce type d’opération, la rénovation des bâtiments conduit également à leur mise à niveau en termes de réglementation énergétique.
De ce point de vue, la mise en œuvre en 2022 du ” décret tertiaire “, qui permettra de porter l’efficacité énergétique des bâtiments au niveau requis, constitue une avancée majeure.
Obstacles persistants et souvent structurels
Le marché de la reconversion se situe à l’interface entre des sous-secteurs de l’immobilier encore très cloisonnés et dépendant de logiques économiques parfois radicalement différentes. Pour un même bien, un investisseur institutionnel privé, un bailleur social ou un promoteur privé peuvent avoir des estimations et des visions très différentes. La fiscalité et les coûts induits par les collectivités locales ne facilitent pas non plus ce type de fonctionnement.Améliorer la copie pour le contenu
Le marché de la reconversion se situe à l’interface entre différents sous-secteurs de l’immobilier encore très cloisonnés et aux logiques économiques différentes. Pour un même bien, un investisseur institutionnel privé, un bailleur social ou un promoteur privé peuvent avoir des estimations et des visions très différentes. La fiscalité et les coûts induits par les collectivités locales ne facilitent pas non plus ce type d’opération.
Sur le plan technique, les caractéristiques du bâtiment telles que sa taille, la nature de sa façade, la structure du gros œuvre ou la présence d’amiante, notamment, influent considérablement sur la faisabilité d’une opération. Les études techniques et architecturales préalables sont donc à la fois cruciales et coûteuses avant de s’engager dans un projet. Chaque opération est unique et nécessite une approche sur mesure.
Production limitée
Entre 2013 et 2021, une moyenne de 1 900 conversions de logements a été autorisée chaque année, pour une surface de 97 000 mètres carrés convertis annuellement (voir dataviz). Les données actuellement disponibles ne laissent pas encore entrevoir une expansion significative de la production du secteur. La transformation d’immeubles commerciaux n’a jusqu’à présent représenté qu’environ 3 % de l’objectif légal de 70 000 logements à produire chaque année en région parisienne, fixé par la loi sur le Grand Paris de 2010. Les deux tiers des logements issus des transformations sont situés à Paris et en petite couronne (voir cartes).
Paris est le département le plus actif de la région parisienne, avec un tiers de cette production. Un grand nombre de transactions ont été enregistrées depuis 2013 dans les 19e (770 logements autorisés en 18 transactions), 20e (679 logements, 21 transactions), 13e (606 logements, 10 transactions) et 14e (536 logements, 15 transactions) arrondissements.
En petite couronne, outre un pôle comme Suresnes (634 logements, 11 transactions) – commune de l’ouest parisien à l’interface entre Paris et le quartier d’affaires de La Défense – une bande de production se distingue, notamment dans la partie sud-est de l’agglomération, caractérisée par des opérations de grande envergure, entre Créteil (440 logements en seulement deux opérations), Champigny-sur-Marne (407 logements en quatre opérations) et surtout Noisy-le-Grand, principal pôle francilien en termes de reconversions sur la période écoulée (847 logements en seulement quatre opérations).
Enfin, quelques pôles plus petits ont également été actifs, comme dans le 14e arrondissement (536 logements, 15 opérations).
Le dynamisme de Paris en matière de reconversions repose non seulement sur des prix du logement très élevés et un tissu ancien souvent propice, mais aussi sur une volonté politique qui se traduit notamment par des bailleurs sociaux très actifs sur ce segment, puisqu’ils sont à l’origine de 46% des logements autorisés issus d’un changement d’usage dans la capitale (28% si l’on considère l’ensemble de l’Île-de-France).D’une manière générale, les bailleurs sociaux ont donc représenté, aux côtés des maîtres d’ouvrage privés, une part importante des opérations de transformation sur la dernière période. 36% des logements produits dans le cadre de la transformation d’immeubles d’activités ont été convertis en résidences services – essentiellement des résidences étudiantes ou des résidences sociales (respectivement 59% et 23% des logements concernés) – car ce type de produit se prête particulièrement bien aux contraintes architecturales inhérentes à ces projets.
Enfin, il faut noter qu’une grande partie des unités issues de la reconversion d’immeubles d’entreprises sont destinées au logement social (41%), ce qui témoigne de l’engagement des collectivités locales sur ce segment de marché.
Reconversion de bureaux; une démarche cruciale mais complexe
Bien que privés et présentant des configurations initiales généralement inadaptées à l’usage résidentiel, les espaces de bureaux obsolètes constituent un enjeu spécifique et incontournable pour le développement des réaménagements en Île-de-France. L’évolution des marchés tertiaires depuis la crise sanitaire pourrait jouer un rôle accélérateur à cet égard. Déjà en 2020-2021, la part des bureaux dans le total des transformations atteint un nouveau record, avec 65% des logements produits. L’essor du télétravail et son corollaire, la diffusion du flex office (espaces de travail flexibles sans sièges fixes attribués à l’entreprise), permettront de libérer encore plus de surfaces de bureaux tout en préservant les emplois qui en dépendent.
Le taux de vacance sur le marché des bureaux de la région parisienne devrait passer de 2,6 millions de mètres carrés à la fin de 2019 à environ 4,4 millions de mètres carrés à la mi-2022, dont 77 % de seconde main, selon un nouveau rapport.Le rapport, réalisé par Cushman & Wakefield, a constaté que l’augmentation de la vacance est principalement due aux entreprises qui optimisent leurs stratégies immobilières. En conséquence, certains immeubles souffrent d’une vacance dite “à long terme”. La plupart de ces bâtiments sont situés dans la proche et la lointaine banlieue et représentent un défi croissant pour les autorités locales en termes d’image, de recettes fiscales et d’utilisation appropriée de l’espace urbain. Le rapport constate que ces bâtiments apparaissent plus que jamais comme un réservoir mobilisable pour faciliter la production de logements. En conséquence, tous les grands promoteurs nationaux prospectent désormais massivement ces bâtiments potentiellement transformables.
Le volume de bureaux franciliens vacants depuis au moins deux années consécutives est estimé à environ 1,1 million de mètres carrés. La part des locaux de première main dans ce volume reste limitée – environ 20% – mais peut atteindre 30% dans les Hauts-de-Seine, signe d’une offre excédentaire plus prononcée dans certaines zones. Toutefois, le potentiel de reconversion ne se limite pas aux immeubles définitivement vacants. C’est le cas de tous les biens de seconde main (ceux datant d’avant 2000, notamment), dont la localisation et les espaces de travail apparaissent de moins en moins attractifs. Pour les promoteurs immobiliers privés, les bureaux à fort potentiel sont avant tout ceux qui offrent des conditions financières avantageuses.
Les immeubles situés dans des zones où les prix des logements sont comparables ou supérieurs à ceux des bureaux sont logiquement privilégiés pour la conversion en logements (voir carte). Dans les marchés les plus centraux de l’agglomération parisienne, les exemples de transformation de bureaux se sont multipliés. Paris compte 34 % des logements autorisés à être convertis en bureaux, suivi des Hauts-de-Seine (18 %), du Val-de-Marne (14 %) et de la Seine-Saint-Denis (13 %). Les Hauts-de-Seine se distinguent également par la prédominance des bureaux dans leurs opérations de transformation (86% des logements autorisés).
Parallèlement, il faut noter que la liste des immeubles de bureaux connaissant des difficultés de commercialisation à long terme est en constante évolution. Cette forte rotation des immeubles en vacance de longue durée illustre la capacité des propriétaires à repositionner leur patrimoine (baisse des loyers, rénovations, etc.).
Les bureaux restent des produits d’investissement attractifs, et ceux qui sont partiellement ou totalement vacants, tout en offrant des marges de valeur significatives en cas de rénovation, continuent le plus souvent d’attirer les investisseurs à valeur ajoutée, notamment sur les marchés “prime”, c’est-à-dire les plus centraux et les plus valorisés. Le réservoir d’immeubles de bureaux pouvant être convertis en logements reste donc fluide, et la conversion en logements est une option parmi d’autres pour les propriétaires en cas de difficultés. Et même lorsqu’un immeuble de bureaux est finalement remplacé par un logement, la conversion du bâtiment existant est encore loin d’être l’option majoritaire. Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, depuis le début des années 2010, la démolition-reconstruction est l’option privilégiée dans 80 à 85 % des opérations concernées.
Le dépassement de certaines contraintes techniques et normatives est la première étape à franchir pour la transformation des immeubles d’entreprises en logements. Cela implique un véritable changement de paradigme de la part de tous les acteurs de la production immobilière, tant publics que privés.Pour les bâtiments neufs, notamment ceux de grande surface, la question du potentiel de réversibilité des bâtiments doit désormais être posée dès la conception. Concernant l’évolution des bâtiments existants, où se concentrent la plupart des enjeux actuels, il est nécessaire de mieux intégrer cette question dans les documents de planification et d’urbanisme, voire d’identifier systématiquement les bâtiments les plus adaptés. Un renforcement des dispositifs publics, et notamment des financements pour soutenir le secteur, sera aussi certainement une condition pour maximiser rapidement la production de logements issus des reconversions.