La responsabilité élargie des producteurs (REP), dédiée aux produits et matériaux de construction, doit entrer en vigueur le 1er janvier 2023. Son objectif est de réduire les décharges illégales et de promouvoir le recyclage, la réutilisation et le réemploi. Cependant, aucun accord n’a été trouvé avec les déchèteries, laissant la Confédération de l’artisanat et des PME du bâtiment (CAPEB) et la Fédération française du bâtiment (FFB) sur leur réserve. Si de grandes entreprises comme Saint-Gobain, Colas et Tarkett ont pris les devants, d’autres ne sont pas convaincues et se demandent s’il existe une réelle volonté politique de faire passer cette loi. Par conséquent, il reste à voir si cette loi sera effectivement mise en œuvre.
La loi anti-gaspillage de 2020 pour une économie circulaire a été créée en réponse au chiffre alarmant de 42 millions de tonnes de déchets de construction produits chaque année, soit autant que ce que génèrent les ménages. La loi de 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte avait déjà fixé un objectif de valorisation de 70% des déchets du secteur en 2020, mais a échoué.
Cette nouvelle loi fixe un double objectif : réduire les décharges illégales et éviter la saturation des décharges, grâce au ramassage gratuit des déchets, à la multiplication des points de collecte et à une meilleure traçabilité. En outre, le recyclage, la réutilisation et le réemploi des matériaux seront encouragés, une porte recyclée pouvant devenir du bois de chauffage, ou une porte réutilisée restant un déchet. Cette responsabilité élargie des producteurs (REP) sera applicable à partir du 1er janvier 2023.
Moins de 5% du verre est recyclé
En bref, la Commission de la responsabilité élargie des producteurs (REP) a agréé quatre éco-organismes – Ecomaison (anciennement Ecomobilier), Ecominéro, Valdelia et Valobat – pour collecter et promouvoir l’économie circulaire des produits et matériaux de construction (PMCB). Ceci en échange d’une éco-contribution financière des fabricants, importateurs et distributeurs de PMCB. Les éco-organismes sont chargés de collecter 75% des déchets inertes – pierre, terre, granulats, béton – et 23% des déchets non inertes – laine de roche, laine de verre, verre, bois, plâtre, peintures -, ainsi que 2% des déchets dangereux, comme l’amiante. Ils doivent donc assumer la double obligation de collecte et de promotion.
Jacques Vernier, Président de la Commission REP, a souligné les disparités des taux de recyclage lors d’une audition au Sénat le 30 novembre dernier : 90% des métaux et 50% du bois sont recyclés, alors que moins de 20% du plastique et du plâtre, et même moins de 5% du verre, sont recyclés. Il a donc appelé à redoubler d’efforts afin d’augmenter le taux de recyclage de tous les matériaux.
La CAPEB et la FFB alertent sur les déchetteries
Dans le même temps, Franck Perraud, président du Conseil des professions de la Fédération française du bâtiment (FFB), a fait part de ses inquiétudes concernant la Responsabilité élargie des producteurs (REP) qui débutera le 1er janvier. Selon lui, rien n’a encore été contractualisé avec les déchèteries, ce qui inquiète tous les opérateurs concernés, car ils ne savent pas ce qui va se passer et craignent que le début du processus soit chaotique. Par ailleurs, un gestionnaire de déchets a déclaré que les éco-organismes, qui ont adopté une logique d’acheteurs, retiendront 1 à 3 prestataires par département, ce qui pourrait être un problème pour les opérateurs restants. Perraud a prévenu qu’une logique d’agrément basée sur la maximisation du nombre de déchèteries n’était pas suffisante.
Ainsi, les inquiétudes de Perraud concernant la date de démarrage de la REP et l’absence de contrat avec les déchèteries ont suscité beaucoup d’inquiétude chez tous les acteurs concernés.
Bien que peu confiant dans ses propos, Jean-Christophe Repon, le président de la confédération (CAPEB) des artisans et PME, a pointé du doigt “un maillage territorial de points de collecte inadapté à leurs besoins”. Il a ajouté que ces entreprises paieront pour un service dont elles ne pourront pas bénéficier, au 1er janvier 2023. M. Repon a exhorté les ” pouvoirs publics ” à prévoir un maillage de 10 kilomètres maximum (20 en zone rurale) entre la zone de production des déchets et un point de collecte, dès l’entrée en vigueur du dispositif. En conséquence, conjonctivement adverbialement, il prévoit que les autorités pourront fournir un service plus adapté aux besoins des entreprises.
Quelques acteurs prennent les devants sur la REP
Les partenaires des éco-organismes prennent les devants sur la REP (responsabilité élargie du producteur) avant même de devenir l’un des partenaires agréés de Valobat. Par exemple, Benoit Bazin, PDG de Saint-Gobain, a investi dans la startup Tri’n’collect qui dépose 6 à 8 ” big bags ” au pied des chantiers et trie sur place les PVC, plaques de plâtre et matériaux d’isolation. De même, Colas, la filiale de travaux publics de Bouygues, dispose également de 160 plateformes de réception et de recyclage de matériaux qui collectent les déchets de chantier dans sept bennes spécialisées comme le papier/carton, le métal, le plastique, le verre, le bois, les fractions minérales et le plâtre et les recyclent sur place ou les évacuent vers des filières spécialisées. En outre, 12 plateformes collectent les déchets professionnels non triés, toutes motivées par l’argument environnemental.
Même si tout ne sera peut-être pas parfait le 2 janvier, le patron de Saint-Gobain soutient toujours l’utilisation de la REP (responsabilité élargie du producteur), car il s’agit d’une approche saine pour la préservation des ressources naturelles. Thierry Méline, Président de Colas, actionnaire d’Ecominero, explique également que leur grande carrière en France rencontre de plus en plus de difficultés pour obtenir les autorisations d’exploitation des sites ; or, les granulats recyclés sont bénéfiques pour préserver les paysages et réduire les transports et la consommation de carburant sur les routes. Par conséquent, les deux parties conviennent que la REP est la bonne approche.
Tarkett, producteur de revêtements de sol et de surfaces sportives et partenaire de Valobat, utilise déjà en moyenne 15% de matériaux recyclés dans sa production. Selon son directeur du développement durable et des affaires publiques en France, les émissions de CO2 évitées pour l’extraction et la production de matières premières équivalentes sont déjà supérieures aux émissions de CO2 de l’ensemble des sites de production du groupe. Cependant, certains revêtements ne peuvent pas encore être recyclés en raison des substances qu’ils contiennent, et des recherches sont en cours pour trier et séparer ces substances. Myriam Tryjefaczka, directrice du développement durable et des affaires publiques en France, a conclu que les éco-organismes sont responsables du financement de la recherche, et qu’un soutien est donc nécessaire.
« Y-a-t-il une vraie volonté politique de faire passer cette loi ? »
Néanmoins, malgré les bonnes intentions, deux obstacles subsistent : la logique industrielle du tout neuf, qui limite fortement la logique de réemploi, et le surcoût lié à l’absence de filières matures, selon David Habrias, PDG et fondateur de Kardham. Par ailleurs, le manque d’efficacité des responsabilités élargies des producteurs précédents a été pointé par le président de Cycle Up, une plateforme numérique de réemploi de matériaux pour la construction et l’immobilier.
La REP – ou responsabilité élargie des producteurs – existe depuis trente ans et pourtant, elle se retrouve toujours dans nos forêts et nos océans. Dans ce contexte, Sébastien Duprat pose la question suivante : si on ne peut pas le faire pour une bouteille de quelques grammes, peut-on le faire pour les déchets de construction ? Duprat pense qu’une TVA environnementale réduite pour les produits réutilisés contribuerait à motiver les gens à agir. Gabriel Franc et Yann Daoudlarian, du groupe Franc Architectures, ont l’habitude d’être les initiateurs du changement et sont surpris de découvrir que la REP commence par les fabricants, sans obligation d’inclure des matériaux recyclés. Ils suggèrent qu’il serait peut-être plus facile de commencer au niveau des architectes et de remonter la chaîne de valeur, mais ils se demandent s’il existe une réelle volonté politique de faire passer cette loi.
Récupérer les matériaux
Les acteurs du secteur de l’immobilier ont pris des mesures proactives pour réduire les déchets et l’impact environnemental, en lançant dès septembre 2020 une initiative appelée “Booster du réemploi”. Depuis, l’initiative a pris de l’ampleur, puisque quinze des plus grands promoteurs du pays et quarante autres acteurs engagés y participent désormais, et que près de 200 projets ont intégré des matériaux réutilisés tels que des faux planchers, des luminaires et des sanitaires. Grâce à ces spécifications standardisées, ces matériaux peuvent être facilement intégrés dans les contrats de construction. Selon le directeur général de NGE Bâtiment, “le réemploi est noble et essentiel, mais c’est très difficile. Le vintage fonctionne dans le secteur de l’habillement, il devrait fonctionner dans le secteur du bâtiment. Il suffit de s’organiser.” Ainsi, bien qu’ils n’attendent pas que le gouvernement prenne des mesures, les acteurs se sont auto-organisés pour réduire les déchets et l’impact environnemental.
Dans le même esprit, NGE Bâtiment, filiale du groupe de travaux publics éponyme, anticipe sur la logistique et la fabrication hors site, c’est-à-dire en dehors du chantier. Elle est ainsi en mesure d’assurer tout ce qui est nécessaire au respect du planning du chantier. Par exemple, elle prédécoupe les plaques de plâtre qui seront utilisées en usine, ce qui permet d’éviter le gaspillage, car on estime que 15 % des plaques de plâtre sont habituellement jetées lors de la pose des cloisons.
Seulement 59% des déchets valorisés
La Fédération nationale des travaux publics a fait part de son inquiétude concernant la responsabilité élargie du producteur (REP) dans le secteur du bâtiment, citant les difficultés à démontrer l’utilisation de certains matériaux pour les travaux publics et le manque de traçabilité promis par les organismes. Ils soulignent également que les écotaxes sont appliquées même lorsque des granulats recyclés sont utilisés pour un bâtiment, ce qui ne va pas dans le sens de l’économie circulaire, telle que la REP est censée la promouvoir. Bruno Huvelin, directeur des matériaux pour la France chez Colas, souligne en outre que même les matériaux recyclés doivent être comptabilisés lors de leur déconstruction. Actuellement, la REP en matière de travaux publics est encore en cours de développement, car le secteur est en passe de devenir un acteur majeur.