Depuis l’adoption en février 2020 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire dite « loi AGEC », sa mise en œuvre s’est accélérée, avec la parution de plusieurs décrets d’application très attendus.
L’économie circulaire a donc le vent en poupe, et notamment dans le domaine de l’urbanisme, à l’heure où les chantiers du Grand Paris Express et leurs 45 millions de tonnes de déblais font l’objet de controverses.
Voyons comment déconstruire cet engouement soudain pour ce que l’on appelle « l’urbanisme circulaire », penchons-nous sur les angles morts de ce mouvement, qui entend relever différents grands défis qui se posent à la ville dans un contexte de transition écologique.
1001 conceptions de l’urbanisme circulaire
Avant tout, de quoi parle-t-on ? De Plaine commune à Amsterdam, l’idée d’un urbanisme circulaire a d’abord été mobilisée pour répondre aux défis environnementaux auxquels était confrontée la discipline : dans un contexte où la construction utilise d’importantes quantités de ressources (matériaux, énergie, eau, etc.), l’objectif était d’en réduire la consommation, de les remplacer par d’autres renouvelables (bois, chanvre, terre…) et de mieux gérer leurs circuits sous forme de boucle(s).
Un second courant de l’urbanisme circulaire a émergé pour lutter contre la problématique de l’étalement urbain. Il est représenté par les travaux de Sylvain Grisot qui fait le constat que l’urbanisme dominant, linéaire, implique que le sol soit mobilisé et artificialisé, avant de devenir support de projets promis à l’obsolescence. Il entend y répondre en prônant notamment la flexibilité des bâtiments et des espaces, l’adaptation aux besoins et le réinvestissement des friches et bâtiments sous-utilisés.
De son côté, l’Ademe prône une méthode dans laquelle « l’économie circulaire ne se limite pas aux déchets ou à l’énergie, mais correspond à un mode de fonctionnement nouveau qui peut s’appliquer notamment à l’urbanisme ». Les projets doivent ainsi miser sur la transversalité, l’échange, la solidarité, et être en mesure d’intégrer l’incertitude, les erreurs, etc.
Enfin, d’autres discours sur l’urbanisme circulaire intègrent la recherche d’une plus grande proximité – la « villes du quart d’heure », ou l’habitant peut répondre à tous ses besoins essentiels en moins de 15 minutes à pied. Ainsi que, crise sanitaire oblige, la relocalisation d’activités perdues, pour des villes plus « résilientes ».
Un concept pas si neuf
Étalement urbain, ressources, résilience… L’urbanisme circulaire agrège ainsi une diversité d’enjeux. Cette dynamique ne doit pas occulter le fait que le concept en lui-même est déjà « recyclé ».
Car ce « nouvel » urbanisme reprend en réalité la critique ancienne de la ville étalée et récupère au passage les réflexions tout aussi anciennes sur l’usage de matériaux alternatifs au béton à base de granulats naturels. Il s’aligne avec une vision normative où il s’agit de diffuser et reproduire les « bonnes pratiques », parfois au détriment des contextes locaux.
Il fait ainsi l’objet de certifications ou labels comme celui du Cerema pour renforcer sa légitimité, et s’inscrit dans la quête d’un urbanisme participatif, où des ateliers de sensibilisation au tri ou à la réutilisation des matériaux ou déchets sont mis en place tels que ceux organisés par la société Bellastock. Les démarches sont alimentées par des guides de référence, tandis qu’une diversité de thématiques sont au cœur de projets étiquetés « circulaires » par l’Ademe (le Pays Serre-Ponçon Ubaye Durance Provence travaille sur les mobilités ; le projet Pirmil-les-Isles sur le réemploi et recyclage des matériaux).
Foisonnement de projets, assemblage de dispositifs, formation de communautés structurées autour de ces sujets, et besoin permanent de définir un concept attractif, parlant, qui fait consensus : ce sont là des signaux faibles de l’élaboration et de la circulation d’un nouveau modèle d’urbanisme succédant à son ancêtre, « l’urbanisme durable ».
Cependant, comme le disait Pierre Lascoumes à propos du développement durable, « l’unanimité est toujours suspecte car elle dissimule la complexité […] la multiplicité des perceptions, les affrontements d’intérêts ».
Le fantasme de la ville autonome
L’urbanisme circulaire réactive l’idéal très séduisant de villes productives, autonomes voire autarciques. Derrière les effets d’annonces, les nécessaires projets de reprise en main et relocalisation de l’énergie ou des produits alimentaires se heurtent à de multiples freins qui desservent parfois leur crédibilité.
L’autonomie physique urbaine est un oxymore nous rappellent Sabine Barles ou François Ascher, tant les villes (peu importe leur taille) demeurent par essence dépendantes de l’extérieur pour leur fonctionnement.
Circulaire ne rime pas avec propre…
L’urbanisme circulaire suppose par ailleurs d’accroître les capacités des territoires à produire et échanger de l’alimentation, des énergies et des matériaux. Cela repose, outre une réduction forte des consommations, sur des infrastructures nombreuses et variées.
Par exemple, une plate-forme de recyclage des bétons occupe en moyenne 2,5 ha au cœur de l’Île-de-France, soit deux fois la surface du parvis de l’Hôtel de Ville de Paris. Des conflits d’usages des sols devront ainsi être arbitrés dans un contexte de crise du logement ou de déclin de la biodiversité. Cela sans oublier que la plupart des activités « circulaires » à développer génèrent du bruit, de la poussière, des odeurs…
Au pays du mille-feuille administratif, s’affranchir d’une logique néfaste de concurrence entre les territoires (où chacun veut son écoquartier, ses acteurs économiques) est une gageure. Or, l’urbanisme circulaire nécessite de penser des politiques en faisant abstraction des périmètres officiels des villes et territoires, rarement calqués sur les échelles auxquelles les déchets ou les matériaux sont gérés. Des démarches émergent (« contrats de réciprocité », mais les questions de ressources ne semblent pas y être au premier rang.
Un urbanisme « flexible », vraiment ?
L’urbanisme circulaire appellerait aussi flexibilité du bâti, des usages, des formes urbaines. Fonctions et activités se mélangeraient et suivraient les rythmes toujours plus intenses et diversifiés des citadins.
Or, selon le MOS de L’Institut Paris Region, l’équivalent de 2 % des surfaces urbanisées d’Île-de-France sont mises en chantier chaque année, et l’on renouvelle en moyenne 1 % du parc de logements par an en France… Le bâti existant et la structure des territoires sont donc plus rigides que flexibles.
À cela s’ajoute l’enjeu de reconversion d’espaces dédiés au fonctionnement centralisé des métropoles (dépôts d’hydrocarbures, incinérateurs, centrales thermiques…).
Héritage de l’âge des fossiles, ils sont eux aussi loin d’être flexibles, souvent pollués, soumis à des investissements économiques de long terme, etc.
Un meilleur recyclage du sol, mais pas de la matière
La tendance à densifier la ville pour réduire l’artificialisation nécessite souvent de démolir des bâtiments (friches) et de creuser la terre pour fonder de nouveaux « écoquartiers ».
Le « recyclage urbain » n’est donc ici pas synonyme d’un meilleur recyclage de la matière et contribue au contraire à augmenter les ressources consommées, comme l’ont démontré les études conduites sur Est ensemble ou aux Ardoines.
La logique de sobriété est pourtant l’objectif n°1 d’un « authentique » urbanisme circulaire. Plus qu’une affaire de flux mis en circulation de façon perpétuelle, c’est plutôt une affaire de lenteur, de conservation, de stockage. C’est avant tout dans la structure et les tissus urbains tels qu’ils sont qu’il doit nous conduire à réfléchir en priorité.
Après cette brève présentation des contours et ambiguïtés de l’urbanisme circulaire, nous faisons le constat qu’observateurs et praticiens de l’urbanisme semblent prisonniers d’une pensée qui tourne en boucle, renouvelant son vocabulaire mais pas son logiciel.
Par Martial Vialleix, Doctorant, chargé d’études écologie urbaine, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.